Non, je n’irai pas!

Orémia croise les bras et tourne le dos à Enabol. Celui-ci jette un regard à TogNoth qui hausse les épaules. Mais, Orémia, reprit calmement Enabol, si l’on ne redémarre pas le temple des chrysalides, les hommes ne pourront plus jamais rêver. Et ils ne feront plus jamais de cauchemar non plus! Je ne veux plus que Garuda ou un autre chamane entre dans ma tête. Orémia avait encore en mémoire l’horrible vision que lui avait imposée Garuda le manchot. Elle avait eu si peur, elle ne souhaitait jamais revivre cela. Les rêves ne valent pas de telles terreurs.

Enabol s’efface. Wuxia, Itchoo, même TogNoth décide de laisser Orémia seule. Lorsqu’elle est en colère, rien n’arrive à la faire changer d’avis. Ils tournent en orbite autour de Jupiter. Tous sont inquiets. Tous sauf Itchoo. Il a lu l’avenir dans l’œil de la tempête. La journée a été longue, chacun va se coucher. Orémia est épuisée, elle s’endort rapidement. Elle profite d’un sommeil sans rêves. Au milieu de la nuit, le nez lui titille. Elle passe sa main sur son visage, mais ne réussit pas à dégager la source de ce chatouillement. Elle ouvre les paupières, c’est Itchoo qui se frotte sur ses joues. Qu’est-ce que tu veux, Itchoo? demande Orémia, toujours un peu fâchée. Pour toute réponse, le petit chat prend un air énigmatique et se dirige vers la porte de sa chambre.

Orémia le regarde et se laisse retomber sur son oreiller. Itchoo lance un miaulement courroucé. Va-t’en Itchoo, c’est l’heure de dormir. Mais le félin ne l’entend pas ainsi. Il mordille un orteil d’Orémia. Lorsque celle-ci la cache sous les couvertures, il se place juste à côté de la tête de la jeune fille et ronronne très fort. C’est bon, c’est bon, râle Orémia. Je te suis. Itchoo saute du lit, très fier de lui. Ils entrent dans la chambre des échos. Tout y est calme, on entend les répercussions des pas d’Orémia. Cette salle est remplie de mauvais souvenirs pour Orémia. Elle frémit. Qu’est-ce qu’on fait ici? demande Orémia. Je ne veux pas rêver. Itchoo l’ignore.

Il se place au milieu de la pièce et miaule quelques notes. Aussitôt, des images commencent à prendre forme dans les airs. Une chute d’eau, un soleil radieux, la mousse du dos de Tog avant qu’il ne soit TogNoth. Orémia est interloquée. Ça alors, dit-elle. Comment as-tu appris à faire ça? Itchoo répond par quelques miaulements. C’est gentil Itchoo, mais je suis vraiment fatiguée. Je veux juste dormir. Chanter… peut-être une autre fois.

Le petit chat se frotte en tournant autour des jambes de sa maitresse. Il ronronne. Orémia soupire. En fait, elle a une boule dans la gorge, elle se sent prisonnière d’elle-même. Depuis que Garuda lui a fait peur, elle ne se reconnait plus. Elle veut juste se coucher, tout oublier. Mais Itchoo insiste… Elle ouvre la bouche et tente d’émettre une note, mais sa voix se brise. Itchoo tousse. Elle reprend son souffle, mais n’ose pas prononcer une nouvelle parole. Ça ne donne rien, Itchoo. Le petit chat la regarde, la tête sur le côté. De sa patte, il pointe ses vibrisses tombées les unes sur les autres, formant un drôle de symbole.

Confiance… Elle inspire de nouveau. Après tout, Itchoo a raison. Ce n’est pas vrai que ce manchot va l’embêter toute sa vie. Il est à des centaines de milliers de kilomètres qui les séparent et elle est éveillée, que peut-il bien faire? Orémia pousse une nouvelle note. Le son en est d’abord éraillé, mais lentement, ses cordes vocales retrouvent leurs souplesses et l’harmonie se fait plus coulante. Orémia sent l’émotion l’envahir, la boule dans son ventre fondre. Elle chante plus fort. Il y a tant de sentiments emprisonnés dans son corps, elle a du mal à tout retenir. Elle tente d’en maîtriser le débit, mais ses paroles s’échappaient d’elles-mêmes. Soudain, Garuda apparaît devant elle.

Orémia pousse un cri. Même Itchoo sursaute et sort ses griffes. L’image disparait. Orémia vers une larme. Tu vois, ça ne donne rien!, hurle-t-elle à Itchoo. Le minet est désolé. Il s’approche et pose sa patte sur le genou d’Orémia. Elle se penche vers lui pour le prendre dans ses bras et le serrer contre elle. Le petit chat lui lèche l’oreille. TogNoth apparaît dans la porte. Je m’excuse de t’avoir réveillé, dit Orémia d’une voix piteuse. TogNoth fait un geste pour lui faire comprendre que ce n’est pas grave. – Peut-être cela peut-il t’aider, dit-il. Et des haut-parleurs du robot s’élève une simple mélodie, formée un tintement après l’autre.

Orémia reconnait cette mélodie. C’est celle de la boîte à musique que sa mère lui a donnée lorsqu’elle était bébé.