Prologue

Il y a toujours eu des porteurs d’aube. Une grand-mère aidant un oisillon blessé à guérir est une porteuse d’aube. Un enfant dessinant ses rêves de la nuit est un porteur d’aube. Une jeune fille prenant soin des arbres juste pour apprécier leur beauté est une porteuse d’aube. Certains sont plus spéciaux que d’autres. Ils comprennent les animaux et les insectes. Ils sentent les racines des arbres grandir sous leurs pieds. Leurs songes sont toujours, pour eux, de bon conseil. Il le faut, parce que leur destin est particulier. Leur venue est annoncée par une prophétie.

Ils apparaissent lorsque les humains ont oublié leur rôle dans le grand cycle de la vie. La prophétie de la prochaine porteuse d’aube raconte qu’auparavant, la Terre avait un autre visage. Ses continents étaient liés par de larges fleuves de glace. Humains comme animaux pouvaient sillonner sa surface à leur guise. Les échanges et les métissages donnèrent alors naissance à des civilisations éblouissantes. Mais cette ère froide céda sa place à un âge chaud. Les glaciers fondirent, ce fut le déluge.

Les civilisations croulèrent, devinrent grains de sable dispersés dans le désert. Le grand vaisseau Sonorus, ni machine ni baleine, quitta notre planète pour explorer l’Univers. Pendant des milliers d’années, il enregistra des sons, des langues et des chants provenant des confins de l’espace. Il attend que la porteuse d’aube le rappelle grâce à la sonde qu’il a laissée derrière : la pierre lunaire.

En leur for intérieur, les humains savaient qu’ils avaient perdu quelque chose de grandiose. Par nostalgie, ils cherchèrent à réinventer leur gloire déchue. Au fil des siècles, leurs créations gonflèrent leur orgueil. Ils abandonnèrent la reconstruction des ponts entre les continents, entre les espèces. Ils s’imaginèrent une mission divine : celle de dominer la planète et ses habitants. Ils inondèrent les côtes, consumèrent les forêts, vidèrent les mers et avilirent l’atmosphère.

Les animaux n’ayant pas été réduits à l’esclavage disparurent peu à peu. Jusqu’à ce que Nioma, la rêveuse mère, sculptée à même la croûte terrestre, cantatrice des songes, première et dernière baleine, cesse de chanter. Sans cette ode originelle, le Sonorus ne pouvait s’orienter dans l’espace. Il était perdu dans le froid stellaire. Les humains, les adultes surtout, devinrent incapables de rêver. Ils chavirèrent dans la folie.

Contre ce destin cruel, le Junning, l’ordre des machines, les isola dans des songes artificiels qui apaisaient leurs cerveaux survoltés. Pour le Junning, la catastrophe écologique que les humains avaient déclenchée était la cause de leur malheur. Pour renverser la tendance, les robots décidèrent d’ausculter, d’observer, de mesurer et de quantifier tous les éléments de la nature. Ils pourraient ainsi recréer l’écosystème parfait pour leurs maîtres afin que ceux-ci puissent de nouveau régner sur la Terre. Les machines tentèrent de capturer toutes les espèces de mammifères, d’insectes, d’oiseaux et de poissons pour les brancher à leur réseau.

Or, les animaux ne sont pas les simples variables mathématiques d’une équation. Ils répondent à des ordres anciens. Les animaux à pattes et à fourrure — la lignée de Kagyu — résistèrent aux efforts du Junning de les priver de leur liberté. Les plus rebelles furent les renards qui, tous sauf un, trouvèrent le moyen de s’enfuir en dehors du monde. Les animaux volants et les insectes — la lignée de Yod — se réfugièrent sous terre, emportant avec eux leurs plus grands secrets. Malgré ses efforts, le Junning ne parvint pas à les retrouver.

Les animaux aquatiques — la lignée de Noésia — ne purent résister aux interventions des robots. Ils étaient trop peu nombreux et affaiblis par l’extrême pollution des lacs, des rivières et des océans. Les robots prirent ainsi le contrôle du monde, non pour se débarrasser de l’humanité, mais pour la sauvegarder et la servir. Selon leurs registres, nous sommes en 2299.

Notre histoire ne fait que commencer…

Découvrez un extrait du livre illustré ici: https://www.blurb.com/b/8735793-wuxia-le-renard