TOGNOTH

Tog chevauche le dos de Nioma.

Ensemble, ils plongent dans l’eau et en ressortent par grands sauts. Tog doit s’accrocher pour ne pas tomber. Elle est folle de joie d’avoir retrouvé la vie et Tog ne peut s’empêcher de rire tellement sa félicité est contagieuse. Jamais auparavant il ne s’est entendu rire. Il sait ce que c’est, mais il n’avait jamais expérimenté la sensation. En fait, il n’a jamais rien ressenti… jusqu’à aujourd’hui.

Cette découverte est extraordinaire. Le vent chatouille la mousse de ses membres, les accélérations de Nioma culbutent la reine des méduses dans son ventre qui répond par des dizaines de petites décharges électriques. Les milliards de points lumineux de la Voie lactée envahissent la rétine artificielle de ses yeux et font grésiller son cœur de papillon. « Ce doit être cela, le bonheur », se dit-il. Nioma ralentit à l’approche d’une berge et s’arrête: elle ne souhaite plus avancer. Tog lui flatte le dos : la reine des méduses sait qu’il est arrivé à destination. « Merci Nioma. Bon voyage. » Il descend dans l’océan et coule à pic. Mais l’eau n’est pas si profonde. Il touche rapidement le fond et avance vers la plage.

Il émerge sur une large bande de sable. La scène le comble de tristesse. Partout où il regarde, les ossements d’anciennes baleines s’imposent dans sa vision. Les rayons du soleil déclinant traversent leurs squelettes blanchis, esquissant de longues ratures noires zébrant les dunes blondes. Le naufrage a été terrible, des dizaines et des dizaines de créatures s’étant échouées ici. Tog sent une boule se former dans son ventre. Tog tourne sur lui-même. Il ne sait pas où aller. Il est confus. L’astre du jour continue de décroître et les nuages passent du jaune à l’orange brûlée, presque au rouge. La couleur préférée d’Orémia. Au souvenir de sa protégée, Tog émet un son étouffé. Son premier soupir. « Qu’est-ce qu’elle aurait fait à ma place? », se demande-t-il.

Dans le contrejour, un frémissement dans la lumière attire son attention. Il grossit l’image et aperçoit un papillon qui s’éloigne. Tog n’hésite pas, il se lève et le suit. Au détour d’une dune, Tog perçoit de grands pétroliers renversés sur le sol. Leurs coques de métal rouillées laissent entrevoir des entailles béantes d’où se sont échappées, jadis, des tonnes de mazout. La plage souillée en porte encore la sinistre cicatrice. Puis, dans les blessures de ces anciens colosses des mers, Tog devine un petit visage artificiel. Et un autre, puis un troisième, puis des dizaines. Les oreilles noires! Des cyborgs rebelles qui refusent l’autorité du Junning.

Pour se préserver de la domination du Cybionte, ils ont arraché leurs antennes. Ils recyclent les vieux navires, trouvant ça et là les pièces pour se réparer et survivre. Tog est tellement impressionné par ce spectacle qu’il n’aperçoit pas le lièvre qui vient d’apparaître à ses côtés. « C’est donc toi, le gardien de la porteuse d’aube? », dit le petit mammifère. Tog sursaute. Comment se fait-il qu’il l’ait compris? Ce lièvre n’a pourtant pas de casque du Junning! C’est la reine des méduses qui répond en parlant le langage universel des animaux par sa bouche. « Il n’en sait rien, dit-elle. Il ignore encore son rôle dans la prophétie. » Tog reste interloqué, captif du dialogue qui se déroule entre ces deux drôles de bête. Le lièvre lève la tête vers lui.

« Nous allons devoir régler cela, n’est-ce pas? »